Le dormeur qui s’éveille
Si tant de penseurs, mystiques, religieux et philosophes parlent de « L’éveil », on peut supposer qu’ils affirment par là que les êtres humains en un premier temps dorment. C’est le sens du mythe de la caverne chez Socrate et Platon, du Satori zen chez les japonais et les chinois, de la percée de l’Être chez Karlfried Graf Durckheim, de la seconde naissance chez Ieshoua, de l’Éveil à la profondeur de l’Être partout où il en est question. On dirait que Dieu en s’incarnant dans l’univers se rapetisse, s’involue dans un monde de dualité (la matière est duelle, divisible) où l’homme se découvre comme différent et opposé à tout ce qui n’est pas lui. Dieu se rapetisse dans l’égo de chaque créature et la créature souffre d’amnésie dans un premier temps. Quoiqu’il en soit, en entrant dans le monde l’humain s’oppose à celui-ci et aux autres humains pour mieux se définir et se donner une identité propre. Dans ce travail, il est happé, hypnotisé par le monde des apparences qu’il découvre et qu’il désire; il vit sans cesse hors de lui dans l’extériorité. Il se donne son identité dans le regard des autres. Le Dieu, en lui incarné, est alors un Dieu ignoré, caché au seul endroit où l’homme ne regarde jamais: à la racine-même de son regard, de son « Je suis », de son Soi, de sa Présence. L’ oeil est fait pour ne pas se voir lui-même. Sinon dans un moment de grâce (un accident, la mort, la solitude, l’absurde) qui lui donne l’occasion de se retourner vers l’intérieur et de regarder ce qui regarde en lui. Alors il peut s’éveiller à cette réalité incroyable au fond de son être: sa conscience, sa Présence. Et voici ce qu’il découvre en lui dans l’extase: « L’oeil avec lequel je vois Dieu est le même oeil que celui dans lequel Dieu me voit; mon oeil et l’oeil de Dieu sont un seul oeil, une seule vision, une seule connaissance et un seul amour. » (Maître Eckhart, 13ème sermon allemand, F Brunnere, Eckhart,Paris, 1969, p. 167), L’humain fait cette découverte parce que le Dieu cosmique est incarné dans l’univers et en lui. Il fait alors l’expérience de l’unité de Dieu avec lui, dans la conscience, le Soi, que d’autres appellent le Christ.