LA JOIE ET LES LARMES
On l’a dit et redit: l’enfant sait naturellement s’émerveiller devant le monde. Son ego n’a pas encore eu le temps de se durcir, de s’anesthésier, de se protéger. Ses yeux et son coeur sont encore exposés sans peur à ce qui vient à sa rencontre. La simple vue d’une fourmi le fascine, l’excite, le remplit de sourire et de joie. Il n’est pas dans le plaisir, qui est passager, mais dans la joie de l’être et de la vie qui jaillit en lui et le remplit, le soulève devant le monde étonnant et fascinant qu’il découvre, le fait frémir à plein coeur devant ce qui est. Il sourit de joie, d’extase; il en a plein les yeux, il dit oui totalement à ce qui est. Comme le Dieu cosmique, il est complètement dans l’éternel instant présent. Ieshoua a dit à ce propos: « Si vous ne changez pas et ne devenez pas comme ces petits enfants, non, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Marc,10,15). Mais, ce coeur exposé, sans défense, de l’enfant qui joue, totalement offert à ce que la vie lui apporte, est forcément aussi exposé à la douleur. La pureté, la naïveté de l’enfant qui caresse l’animal, l’expose aussi à souffrir de sa morsure. Une grande leçon de vie est présente ici. C’est parce que notre peau est faite pour nous permettre de ressentir la douceur de la caresse qu’elle nous expose à la douleur de la blessure. Si nous voulons vivre vraiment la vie, il nous faut l’accepter telle qu’elle est, avec ses deux faces: la joie et la souffrance. La peine est la soeur jumelle de la joie. Toutes deux dépendent de la même attitude, du même oui à la vie. Le coeur humain est un violon sur lequel joue également la tristesse et le bonheur, le mineur et le majeur. Gibran, dans son Prophète, le dit si bien: « Parle-nous de la Joie et de la Tristesse¨. Il répondit: « Votre joie est votre tristesse sans masque. Et le même puits d’où jaillit votre rire a souvent été rempli de vos larmes. Comment en serait-il autrement? Plus profonde est l’entaille découpée en vous par votre tristesse, plus grande est la joie que vous pouvez abriter » . Ce texte magnifique nous fait mettre le doigt sur ce qui est le plus important dans le cosmos: le coeur humain. Celui-çi est Un, chez l’enfant comme chez l’adulte qui a laissé tomber son armure pour dire un grand oui à ce qui est. Ce coeur n’existe pas chez ceux qui haïssent et refusent la présence de la douleur dans le monde. Vivre fermé, c’est vivre fermé à tout. L’acceptation ouvre l’humain à son coeur qui est sans doute la plus belle et grande chose qui existe dans le cosmos: c’est pour ce coeur que tout le reste existe. C’est lui qui a la capacité suprême d’aimer. Selon moi, cette capacité à s’émouvoir que l’on appelle le coeur humain, est le signe magistral de l’existence du Dieu cosmique et de sa volonté de partager sa Joie éternelle. Seul un Dieu peut avoir conçu un coeur humain, J’ai jadis écrit une chanson avec Jean Lapointe qui brodait sur ce thème:
« C’est curieux, le bonheur, ça vous met de l’eau dans les yeux,
Le bonheur fait rire aux larmes les enfants et les amoureux
Mais la grande tristesse que l’on ne peut plus supporter
Ça ne fait plus pleurer non ça fait rire aux larmes »…
